Financement au contrat, coût des formations par apprentissage : que prépare le projet de loi « Avenir professionnel » ?

Par - Le 05 juin 2018.

Le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel (PDL), qui a été présenté et adopté en Conseil des ministres le 27 avril 2018, modifie considérablement le financement des CFA.
Aujourd’hui, les ressources des CFA proviennent en grande partie des Conseils régionaux (par des subventions de fonctionnement et d’investissement) et des entreprises (principalement par la taxe d’apprentissage). Selon le dernier rapport du Cnefop disponible à ce sujet, en 2014, l’ensemble des ressources des CFA était de 3 052 millions d’euros, dont 1 253 au titre des subventions des Régions, et 949 au titre de la Taxe d’apprentissage reçu.
Le PDL propose une importante réforme : passer du système en partie subventionné, en partie d’affectation de taxe, à un nouveau système qualifié de « financement au contrat », parfois encore appelé « coût au contrat ». En pratique, pour chaque apprenti formé les CFA recevront un financement. Son montant sera déterminé par les branches, le versement sera effectué par les futurs Opérateurs de compétences.

Le PDL poursuit ici un double objectif : proposer un système de financement simple et transparent, proposer un système incitatif au développement de l’alternance : puisque un contrat égal un financement, les CFA seront ainsi fortement incités à développer un meilleur accompagnement pour les jeunes et à proposer de meilleurs services aux entreprises pour se développer et accueillir davantage de jeunes.
Le principe de la libre création des CFA leur permettra en effet de proposer de nouvelles formations, le recrutement de nouveaux apprentis (pour en savoir plus sur le principe de la libre création, voir notre actualité : Projet de loi « Avenir professionnel » : réforme des missions et du fonctionnement administratif des CFA).

Pour les établissements, les questions sont aujourd’hui nombreuses : comment seront déterminés les coûts, par qui, le financement sera-t-il garanti, des financements complémentaires seront-ils possibles ? Voici les premiers éléments de réponse !!

Comment seront déterminés les coûts de formation ?

Le vendredi 27 avril, la présidente de la région Bourgogne-Franche-Comté, Marie-Guite Dufay, a profité d’une rencontre avec la Ministre du travail, Muriel Pénicaud pour demander certaines précisions sur le projet de réforme, notamment sur le « coût au contrat », nouveau système de financement prévu par la réforme.
Les CFA ne bénéficieront plus d’un financement annuel, mais chacun touchera une somme par apprenti embauché. « Mais de quoi parle-t-on ? Des frais de restauration ? De structure ? D’hébergement ? », a-t-elle demandé. Pour Muriel Pénicaud, ce périmètre sera déterminé par l’État, les Régions et les partenaires sociaux, en tenant compte des spécificités des formations.

Pour en savoir plus : La Bourgogne Franche-Comté expérimentera un « pilote de simulation » des nouvelles modalités de financement de l’apprentissage.

Il apparaît ainsi qu’aujourd’hui la méthodologie de calcul du coût au contrat n’est pas encore déterminée.
Cependant, le PDL précise que le coût de prise en charge des contrats d’apprentissage sera fixé :

  • par les branches
  • ou, à défaut, par un accord collectif conclu entre les organisations représentatives d’employeurs et de salariés signataires d’un accord constitutif d’un Opérateur de compétences interprofessionnel gestionnaire des fonds de la formation professionnelle continue.

Ces coûts prennent en compte les recommandations de France compétences, en matière d’observation des coûts et de niveaux de prise en charge.
A défaut de fixation du montant de la prise en charge, un montant forfaitaire horaire sera déterminé par décret.
Le dossier de presse complète les informations : les branches détermineront le coût contrat de chaque diplôme ou titre professionnel (CAP cuisine, Bac pro commerce…) en fonction des priorités de recrutement des entreprises et de la GPEC de branche. Ce financement sera le même sur l’ensemble du territoire, quels que soient la structure ou l’organisme formateur, pour assurer l’équité entre les CFA.

En conclusion, la responsabilité de définir le montant du coût du contrat appartient aux branches professionnelles. Il s’agit d’un coût « national » : chaque diplôme ou titre aura un coût précis, qui s’appliquera uniformément sur l’ensemble du territoire, peu importe le nombre d’apprentis présents dans l’établissement, sa situation géographique, la présence d’autres publics formés, ou comment est géré le CFA : privé, parapublic, public…
Article L6332-14 nouveau du Code du travail
Article 19 du projet de loi

Devant les députés de la Commission des affaires sociales (Assemblée Nationale), mercredi 23 mai, Muriel Pénicaud a répondu à une question relative à la capacité des branches professionnelles à définir le coût d’un contrat d’apprentissage. « Aujourd’hui, toutes ne sont pas en mesure de le faire », a reconnu Muriel Pénicaud. « Mais il existe des bases de données des coûts moyens par métiers. Les branches pourront s’y référer et s’appuyer sur les futurs Opérateurs de compétences. Ils sont près du terrain et gèrent déjà le contrat de professionnalisation », précise la ministre du Travail. Ils sont donc en mesure, selon elle, d’évaluer le coût d’un contrat d’apprentissage pour un même diplôme préparé.

Pour en savoir plus : « Réforme de l’apprentissage : le gouvernement a lancé une évaluation du futur système de financement »

Concernant les bases de données évoquées, il s’agit sans aucun doute des « coûts préfectoraux » : le préfet de région publie, chaque année, une liste désignant les CFA habilités à percevoir des fonds en provenance de la taxe d’apprentissage. Cette liste indique pour chaque CFA le coût par apprenti et par formation. Ces coûts par apprenti sont déterminés dans le cadre de la convention créant le CFA qui doit aujourd’hui être signée avec la Région. Lorsqu’une entreprise forme un apprenti, elle doit verser au CFA un « concours financier obligatoire » en fonction du coût par apprenti figurant sur la liste préfectorale. Ces « coûts préfectoraux » peuvent en pratique être consultés sur les sites internet des préfectures.
A titre d’exemple, vous pouvez consulter le site internet spécifique de la Région Bourgogne Franche Comté

Actuel art. L6233-1 du Code du travail.

Quels rôles pour les Opérateurs de compétence et France compétence ?

L’exposé des motifs du PDL apporte une description précise du rôle des deux nouveaux opérateurs :

  • Les Opérateurs de compétences seront chargés de l’appui technique aux branches professionnelles pour la mise en œuvre de leurs politiques conventionnelles, dont la détermination des niveaux de prises en charge adéquats des contrats d’apprentissage et de professionnalisation, en fonction par exemple du niveau de qualification et du type de certification professionnelle. Ce sont ainsi les Opérateurs de compétences qui prendront en charge financièrement pour le compte des entreprises, à destination des centres de formation des apprentis, le contrat d’apprentissage et de professionnalisation au coût fixé par les branches ou, à défaut, par un accord collectif conclu entre les organisations représentatives d’employeurs et de salariés signataires d’un accord constitutif. Dans ce cadre, ils auront également une offre de services de proximité à développer à destination des entreprises et des salariés, notamment apprentis. Pour être complet sur le sujet, il convient d’ajouter que ce financement proviendra d’une section financière dédiée, parfois qualifié « d’étanche » puisqu’elle ne pourra pas financer une autre dépense que celle prévue par le Code du travail. Cette section financière sera gérée par les opérateurs de compétences. Elle aura pour ressource une partie de la future « contribution unique à la formation professionnelle et à l’alternance ».

Articles L6332-1 et L6332-14 nouveau du Code du travail
Article 19 du projet de loi

  • France compétences aura pour mission d’émettre des recommandations sur les coûts et les règles de prise en charge du financement de l’alternance afin de favoriser leur convergence. Les recommandations seront adoptées par le conseil d’administration de France compétences. Elles seront rendues publiques et transmises aux ministres chargés de la Formation professionnelle, de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de l’Enseignement agricole, aux présidents des Conseils régionaux, aux présidents des Commissions nationales paritaires pour l’emploi, aux présidents des Opérateurs de compétences.

Articles L6123-5 et L6123-9 nouveau du Code du travail
Article 16 du projet de loi

Quelle garantie de financement ?

Pour reprendre les termes du dossier de presse, tout contrat en alternance est financé : chaque jeune et chaque entreprise qui signent un contrat en alternance ont la garantie de bénéficier d’un financement. La recherche d’une entreprise par un jeune ne se heurtera donc plus au problème du financement du contrat.

Cette garantie de financement se trouve dans le système péréquation qui est mis en place par le PDL : France compétences aura pour mission de verser aux Opérateurs de compétences, des fonds pour un financement complémentaire des contrats d’apprentissage et de professionnalisation au titre de la péréquation inter-branche, selon des modalités fixées par décret.
En pratique, un Opérateur de compétence qui n’aura plus de fonds disponibles pour financer un contrat en alternance pourra solliciter France compétences pour obtenir un financement de ce contrat.
Article L6123-5 nouveau du Code du travail
Article 16 du projet de loi

Quelles possibilités de financements complémentaires ?

Par les Régions
Le dossier de presse apporte des précisions sur les possibilités de majoration du coût de la formation par les Régions. Il s’agit ainsi de permettre une « péréquation territoriale » et en pratique, de participer au financement des CFA qui n’accueillent pas suffisamment d’apprentis pour permettre un financement uniquement via les coûts au contrat ; le maintien des CFA dans les zones rurales est fréquemment évoqué : Les Régions disposent, pour tenir compte des spécificités de l’aménagement du territoire et pour améliorer la qualité et l’innovation pédagogique, d’une capacité de subvention complémentaire au financement au contrat (dotation de 250 millions d’euros par an).

Les Régions pourront contribuer au financement des centres de formation des apprentis (CFA) dès lors que des besoins d’aménagement du territoire et de développement économique qu’elle identifie le justifient. Les Régions pourront décider, en matière de dépenses de fonctionnement, de majorer la prise en charge des contrats d’apprentissage réalisée par les Opérateurs de compétences, et en matière de dépenses d’investissement, de verser des subventions. Les Régions adresseront annuellement le montant des dépenses engagées et mandatées de fonctionnement et d’investissement à France compétences.

Au titre des dépenses de fonctionnement, les Régions, interviennent le cas échéant dans le cadre de conventions avec les Opérateurs de compétences agissant pour le compte des branches adhérentes.

A titre d’exemple, pour un contrat d’apprentissage, dont le montant du « coût au contrat » a été déterminé par la branche correspondante à 5 000 euros, la Région du CFA pourra décider que pour tenir compte de besoins territoriaux spécifiques, le CFA recevra 1 000 euros complémentaire par contrat formé. Soit en tout, 6 000 euros par contrat.
Article L6211-3 du Code du travail
Article 15 du projet de loi

Par les entreprises
Aujourd’hui, pour les contrats de professionnalisation, les employeurs peuvent participer directement aux coûts de la formation de leur salarié lorsque celle-ci est réalisée par un organisme de formation externe à l’entreprise. En pratique, les frais de formation proprement dits (frais pédagogiques…) sont à la charge de l’employeur ; ils peuvent être pris en charge par les Opca.
Lorsque tel n’est pas le cas, le contrat de professionnalisation peut, malgré tout, être conclu si l’employeur accepte de prendre en charge le coût entier de la formation. (source : travail-emploi.gouv.fr).

Un scénario similaire pourrait-il être envisagé pour le contrat d’apprentissage lorsque la réforme sera entièrement applicable ?

Aujourd’hui, il semble difficile d’apporter une réponse à cette question. Il convient d’attendre les futurs décrets et circulaires éventuelles avant de pouvoir prendre définitivement position sur ce point.

Une expérimentation régionale : La Bourgogne Franche-Comté expérimentera un « pilote de simulation » des nouvelles modalités de financement de l’apprentissage.

Le vendredi 27 avril, Muriel Pénicaud a présenté son projet de loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » en Conseil des ministres. En déplacement à Dijon le jeudi 26 avril, elle s’est rendue à l’École des métiers Dijon métropole à Longvic. L’occasion d’évoquer l’apprentissage, et d’annoncer que son nouveau circuit de financement sera simulé dans la région : « Je vous ai proposé que nos équipes viennent simuler, sur la région Bourgogne-Franche-Comté, tout le financement, pour rassurer et pour démontrer que ça peut fonctionner, et que ça libèrera même des capacités » a-t-elle pointé « Faire un pilote de simulation ici, avant même que la loi ne passe devant le Parlement en mai, me paraît important pour vérifier que tout fonctionne, et que cela permettra de développer l’apprentissage. Nous le ferons dans deux ou trois régions. »

Cette simulation permettra de connaître la future méthodologie de calcul du « coût au contrat ». Cela permettra aux établissements et aux Régions d’envisager comment sera réalisé le financement lorsque la réforme sera entièrement appliquée.